ASSYRO-BABYLONIENNE (RELIGION)

ASSYRO-BABYLONIENNE (RELIGION)
ASSYRO-BABYLONIENNE (RELIGION)

La religion assyro-babylonienne, pratiquée du début du deuxième millénaire à la chute de Babylone (538), est multiforme. Il existe des différences entre celles d’Assur et de Babylone: les rivalités entre les dieux des deux capitales se traduisent par des particularités culturelles et reflètent les rivalités de leurs souverains. Mais, de plus, chaque cité importante vénère spécialement un dieu propre et modèle son panthéon, son culte et ses mythes en fonction de ce dieu. Une étude d’ensemble ne peut donc que dégager le fond, le plus grand commun dénominateur de ces religions locales.

Ce dénominateur commun est né de la fusion des courants religieux introduits en Mésopotamie par les deux grandes races qui la peuplent: la sumérienne et la sémitique. Si l’influence sumérienne s’est exercée en Babylonie, par Babylone elle a atteint Assur; après une symbiose millénaire, il est vain d’essayer de distinguer les apports de chacun de ces deux courants.

Les documents qui peuvent être rassemblés pour l’étude de cette religion sont hétérogènes: mythiques, rituels, historiques et économiques; ils proviennent de différentes cités, s’échelonnent sur un millénaire et demi et sont toujours fragmentaires; l’historien des religions se trouve ainsi en présence de puzzles à plans multiples et superposés. Il comble les vides de l’un par les données d’un autre. La religion assyrobabylonienne ainsi reconstituée doit donc être considérée comme un modèle, une abstraction qui n’a jamais existé comme telle.

On peut en étudier successivement les aspects cycliques et occasionnels. La religion cyclique s’exprime dans le culte périodique: annuel, mensuel et journalier; la religion occasionnelle se manifeste à propos d’événements fortuits. En réalité, ces deux aspects sont toujours étroitement imbriqués l’un dans l’autre.

1. La religion cyclique

Les divinités

Les Assyro-Babyloniens rencontrent leurs dieux à la limite de leurs possibilités d’action sur les éléments naturels: divinités astrales: Anu et Antu (divinités du ciel), Shamash et Sîn (dieu solaire et lunaire), Ishtar (déesse vénusienne); dieux de l’atmosphère: Enlil et Adad ; dieux de la terre et des eaux: Enki-Ea, Tammuz. Ils leur attribuent la toute-puissance sur ces éléments et comme telles ces divinités sont tour à tour bienfaisantes et malfaisantes. Ils les rencontrent aussi à la limite de leurs possibilités biologiques; en opposition à l’inéluctabilité de la mort, ils en ont fait des immortels; «lorsque les dieux ont formé l’humanité, pour les hommes ils ont établi la mort, la Vie ils l’ont gardée dans leurs mains», déclare catégoriquement Siduri, la cabaretière de l’autre monde, à Gilgamesh en quête de la vie. L’homme, cependant, n’est pas anéanti par la mort; il mène ensuite dans l’obscurité souterraine une vie larvée, plus ou moins reposante selon les actes que chacun a accomplis sur terre, réduit à se nourrir de poussière et d’eau polluée si les vivants ne pourvoient à sa subsistance par un culte approprié. L’image de ses dieux jaillit dans la conscience du Mésopotamien à la jonction de son expérience du monde et des données de la psychologie profonde, aussi les dieux assyro-babyloniens sont-ils représentés le plus souvent sous des traits humains: ils sont mariés et organisés en familles. Ils sont alors diversifiés par les symboles des choses qu’ils dominent: le Soleil, la Lune, Vénus, la foudre. Ils ont aussi des affinités avec le règne animal: Ishtar avec le scorpion, Tammuz avec le serpent, Enlil avec le renard, Marduk avec le chien; leur qualité divine est marquée par une ou plusieurs paires de cornes de taureau, en relief sur leur tiare, en nombre plus ou moins grand selon leur rang dans le panthéon. Ils sont également liés au règne végétal: le tamaris est Anu, le cyprès Adad, le palmier Tammuz; et même au règne minéral: l’argent est le grand dieu, l’or est EN.ME.SHAR.RA, le cuivre est Ea, le bitume le dieu-fleuve.

Les représentations les plus abstraites sont fournies par les nombres: Anu par 60, l’unité du système sexagésimal; Enlil par 50, nombre approximatif des jours annuels de pluie; Enki par 40; Sîn par 30, nombre de jours du cycle lunaire; Shamash par 20; Ishtar par 15.

Lorsque Assur et Babylone devinrent capitales, leurs dieux propres, Assur pour l’Assyrie et Marduk pour la Babylonie, accédèrent au sommet du panthéon; par opposition aux dieux du désordre dont sont issus le ciel, l’atmosphère et les eaux, ils sont considérés comme les dieux de l’ordre, dompteurs des éléments dont ils fixent et régissent les destins, avec l’assentiment des dieux qui les dominent.

La religion babylonienne, plus psychologique que celle des Assyriens, a fait d’Ishtar et de B 勒l-Marduk des divinités qui meurent et ressuscitent avant de triompher.

Les lieux de culte

Les lieux de culte mésopotamiens occupent en surface un quartier important de la cité; outre les nombreux bâtiments administratifs, souvent aussi vastes que ceux du palais, ils comportent trois éléments culturels proprement dits: la ziqqurrat, les temples, l’esplanade. La tour à étages, que les Mésopotamiens désignaient par le substantif siqqurratu , dérivé de la racine sqr , «être haut», est l’élément caractéristique des complexes sacrés; «la quasi-totalité des villes fouillées avaient leur tour sacrée. Là où elle manque, il est certain que le ravage du temps s’ajoutant aux destructions de l’homme l’a fait disparaître» (A. Parrot). Elle est construite le plus souvent sur plan carré et compte sept étages. Les dimensions, mesurées en coudées de 0,50 m environ, des six terrasses de l’Esagil, «le temple à tête élevée», la tour à étages de Babylone, étaient les suivantes: 180 憐 180 憐 66; 156 憐 156 憐 36; 120 憐 120 憐 12; 102 憐 102 憐 12; 84 憐 84 憐 12; 48 憐 42; celles du temple supérieur sont inconnues. Ce plan idéal est rarement réalisé dans toute sa perfection.

Pour une trentaine de ziqqurrats fouillées par les archéologues, les vestiges de quatre seulement permettent une reconstitution de sept étages, et plusieurs sont construites sur plan rectangulaire, comme celles d’Ur et de Nippur.

L’archéologie a révélé peu de détails concernant l’aménagement des ziqqurrats; celles-ci ont eu particulièrement à souffrir de l’érosion des siècles. Un édicule couronnait la terrasse supérieure; les traces d’une chambre ont été retrouvées sur une des terrasses de la ziqqurrat d’Ur, et au cœur même de la terrasse inférieure ont été découvertes à Nimrud et à Tchoga Zambil des chambres sans voie d’accès.

Au pied de la ziqqurrat sont groupés les temples proprement dits de chacune des divinités de la cité. Plus ou moins complexes selon l’importance de la divinité, ils se composent essentiellement d’un vestibule qui fait parfois le tour de l’ensemble, d’une ante-cella et d’une cella où réside la statue du dieu et où l’on n’accède que par une porte unique, ouverte sur l’ante-cella.

Un plateau votif en bronze, du XIIe siècle, trouvé à Suse, représente une cérémonie qui se déroule sur le parvis d’un temple; deux ziqqurrats se dressent aux deux extrémités du rectangle; devant la plus grande, de trois étages, un quadrilatère en relief, creusé de cupules, figure un petit autel flanqué de part et d’autre d’une stèle. À l’autre extrémité, près de la ziqqurrat à deux étages, quatre arbres, une grande jarre et deux bassins rectangulaires représentent le bosquet sacré et le réceptacle des eaux primordiales; tels devaient être les éléments essentiels de l’esplanade sacrée. Les vestiges de canaux d’irrigation attestent la présence d’un bosquet sacré à côté de la ziqqurrat d’Uruk. Le temple proprement dit était la résidence personnelle du dieu; là, dans l’obscurité de la cella, il menait sa vie journalière. Le parvis, avec ses installations permanentes, suffisait aux cérémonies réservées au clergé et à quelques personnages; la ziqqurrat était utilisée pour les manifestations grandioses du dieu, lors des fêtes solennelles, destinées au peuple tout entier. Les temples sur terrasse circulaire ou ovale d’El-Obeid, El-Hibba, Khafage et Uqair, qui précédèrent les tours à étages, ont été bâtis à l’aube de la civilisation urbaine pour mettre les récoltes sous la protection du dieu, à l’abri des inondations et des razzias. La symbolique religieuse en a fait la réplique de la grande montagne cosmique, sortie la première du chaos primitif et les Sémites, venus de pays montagneux, y ont vu la transposition citadine de leur haut lieu. Les textes semblent indiquer que les chambres sans voie d’accès, enfouies à l’intérieur de la terrasse inférieure, symbolisent le monde souterrain, l’édicule du sommet le monde céleste et les étages intermédiaires, le monde où vivaient les humains avant la séparation du ciel d’avec la terre. Lors des cérémonies évoquant ce temps mythique, des aménagements provisoires de bosquets sacrés, représentés stylisés sur certains cylindres-sceaux ou bas-reliefs, rendaient plus suggestive cette évolution.

Outre les complexes sacrés urbains, chaque cité possède hors les murs un temple campagnard de l’Ak 稜tu avec parvis et dépendances, enfoui dans la verdure.

Le culte

La vie quotidienne des dieux était ordonnée à l’image de celle des rois; on offrait à la divinité quatre repas par jour: le grand et le petit repas du matin, le grand et le petit repas du soir; chacun d’eux se composait de boissons fermentées, de pains, de fruits et de viande; ils n’étaient pas purement symboliques; le menu journalier des quatre grandes divinités d’Uruk exigeait 243 pains faits de 409 litres de farine d’orge et de 136 litres de farine de blé ainsi que 1 200 tartelettes à l’huile, nappées de dattes de choix; les plats de résistance comptaient 50 moutons, 2 bœufs, 1 veau, 8 agneaux, 70 volatiles divers, 4 sangliers et 6 œufs; autant de denrées qui, après offrande, revenaient sur la table du clergé.

Chaque mois, outre les premier, quinzième et dernier jours du mois, caractérisés par l’apparition, la culmination et la disparition de la Lune, exigeant des cérémonies particulières, les quatrième, huitième et dix-septième jours étaient consacrés à des fêtes eshsheshu. Ces dernières commençaient la veille au soir et s’inspiraient peut-être, en beaucoup moins solennel, d’une fête qui se célébrait à Uruk dans la nuit du 16 au 17 d’un mois inconnu: les dieux sortent alors sur le parvis du temple où ils festoient toute la nuit; à l’apparition des astres, symboles de ces dieux, des hymnes sont chantés et des parfums brûlés; un feu nouveau est consacré; la torche qu’on y enflamme, après avoir été présentée au dieu, fait processionnellement le tour du parvis et, de torche en torche, le feu sacré se dissémine dans toute la ville jusqu’aux corps de garde veillant aux portes. Le 17 était solennisé par un banquet particulièrement important qui réunissait tous les dieux de la cité.

La plus grande solennité de la religion assyro-babylonienne, microcosme du culte tout entier, était la fête du Nouvel An, dite de l’Ak 稜tu. Elle n’était pas célébrée partout à la même saison car le commencement de l’année liturgique était lié, tantôt à l’apparition d’un astre, tantôt à l’équinoxe de printemps, triomphe solaire sur les puissances des ténèbres, tantôt à celui d’automne, triomphe lunaire sur les forces adverses, tantôt au début de la saison des pluies ou de la crue du fleuve. Sa durée et son déroulement ont varié selon les époques et les lieux; à Babylone, à l’équinoxe du printemps, elle s’étendait sur les onze premiers jours du premier mois. Elle comportait deux phases, plus ou moins imbriquées l’une dans l’autre. La première était dominée par la tristesse, la lamentation et la purification ; si le dieu de la cité était une divinité qui meurt et qui ressuscite, on évoquait alors sa descente au monde infernal; sinon, le temps de son inaction. Le souverain, image du dieu sur terre, était associé rituellement à cette impuissance divine: il est dépouillé de ses insignes royaux, le maître des cérémonies «lui frappe la joue, lui tire les oreilles, le fait se prosterner à terre»; le roi clame alors son innocence: «Je n’ai pas péché, ô seigneur des contrées, je n’ai pas été négligent à l’égard de ta divinité.» Pendant ce temps le temple est purifié, il est aspergé avec les eaux du Tigre et de l’Euphrate, son parvis est frotté avec le cadavre d’un mouton qui, chargé ainsi des souillures du temple, est ensuite jeté dans le fleuve. La deuxième phase, débordante de joie, commence lorsque le roi réapparaît revêtu des insignes de sa dignité, symbole du dieu exerçant de nouveau sa royauté sur le monde; c’est le moment où retentissent les acclamations de tous; «Marduk (ou Assur) est roi!» proclament tous les dieux vassaux venus dans la capitale pour la circonstance; «Marduk (ou Assur) est roi!» reprend le peuple tout entier. Un immense cortège s’organise dans la ville en liesse; il part de la ziqqurrat où a eu lieu l’apothéose divine, traverse la cité par la grande voie processionnelle du dieu et du roi, s’embarque, comme à Babylone, et gagne le temple campagnard de l’Ak 稜tu. Alors se déroulent les fiançailles divines, présentation solennelle du dieu à son épouse, et la hiérogamie, union du dieu et de la déesse, qui assure pour la nouvelle année la fécondité du monde. Une nouvelle procession ramène le dieu et la déesse au temple principal; il reste maintenant à proclamer les destinées; cette cérémonie est préparée par l’observation des présages tout au cours de la fête: les larmes du roi pendant son humiliation, un faux pas du souverain dans le temple ou un écart du cheval attelé au char sacré, l’état du ciel et celui des entrailles des victimes sont autant de signes lourds de sens. Les résultats, établis par des spécialistes, sont proclamés lors d’un banquet d’apparat qui réunit autour du maître du panthéon tous les dieux vassaux. Cette dernière cérémonie revêt une importance plus grande à Assur qu’à Babylone.

2. La religion occasionnelle

Malgré les pratiques cycliques qui assuraient la bonne marche du monde, de nombreux dangers menaçaient chaque individu, qu’il fût roi, notable ou simple particulier. La religion doit y faire face. Cette insécurité constante a provoqué une réflexion religieuse qui a déterminé les relations personnelles de l’homme avec la divinité, mais aussi avec les démons, et c’est le fondement de la religion occasionnelle. Celle-ci doit prévoir les dangers par la divination et y parer par la magie.

Le dieu de lindividu et ses démons

L’un ou l’autre des dieux du panthéon est chargé de veiller spécialement sur chacun des Mésopotamiens: le fidèle se proclame «fils de son dieu»; celui-ci réside dans le corps du fidèle et l’accompagne dans toutes ses activités. Ce dieu est attribué à chacun par le nom qui lui est donné, généralement théophore: Assurbanipal, «Assur est celui qui a formé le fils», Nabuchodonosor, «ô Nabû, garde le rejeton!»; certains fidèles préfèrent cacher le nom de leur dieu. Devenu adulte, ou accédant à une charge officielle, le Mésopotamien ratifie le choix qui a été fait de son dieu par ses parents en gravant son image sur son cylindre-sceau; il peut changer de dieu si sa nouvelle situation l’y invite, ou s’il n’est pas satisfait de son aide. Pour s’assurer les bonnes grâces de son dieu le fidèle lui doit un culte personnel dans sa chapelle domestique, simplifié mais analogue à celui qui est rendu officiellement dans les temples. En retour, son dieu lui doit aide et protection en toutes circonstances. Il a d’ailleurs fort à faire car l’homme est environné de démons qui le guettent. Ceux-ci échappent à la saisie des sens: «Personne ne les remarque, ils s’assoient à côté d’un homme de façon que personne ne les voie»; ils sont souvent asexués; ils n’ont pas de nom à proprement parler car ils ne possèdent pas de personnalité définie; ce sont des puissances, des forces du mal; ils sont nuit, ouragans, fauves. On les classe selon leurs effets, certains d’entre eux sont des spécialistes des maladies: le démon de la peste et des épidémies, celui des maux de tête; une démone s’attaque tout particulièrement aux femmes enceintes. Certains incarnent plutôt la méchanceté des grands dieux. Parmi eux figurent aussi les spectres des morts insatisfaits qui ont quitté la terre sans s’être accomplis: l’enfant mort en bas âge ou la femme morte en couches, ceux qui sont demeurés sans sépulture ou qui sont simplement oubliés. Leur pouvoir est cependant limité car le démon ne peut s’attaquer à l’homme que si celui-ci est abandonné de son dieu. Cet abandon peut résulter d’une faute consciente ou d’une négligence: les codes mésopotamiens ou les contrats sont assortis de malédictions qui privent ipso facto leur violateur de l’assistance des dieux. Mais la violation, même inconsciente, d’un tabou provoque le même résultat: «Le péché que j’ai commis je ne le connais pas, la faute que j’ai commise, je ne la connais pas.» Le plus souvent, c’est l’état d’impureté matérielle du fidèle, incompatible avec la pureté divine, qui provoque le départ du dieu: l’eau polluée des égouts dans laquelle on pose le pied, la rencontre d’une femme aux mains souillées, ou d’une personne maudite, ou même de quelqu’un qui mourra insatisfait. Des listes longues et minutieuses ont été dressées par les spécialistes, des actes qui doivent être évités à certains jours du mois ou de l’année sous peine de tomber sous les griffes des démons.

La divination

Pour lutter contre les éventualités mauvaises, il faut d’abord les prévoir. N’est pas devin qui veut; il lui faut appartenir à la lignée de l’un ou l’autre des devins antiques et ses ascendants doivent être demeurés purs. Personnellement, il doit être accompli en forme et en proportions, se soumettre à une très longue initiation conduite par un «spécialiste en connaissance» et avoir été investi.

Les signes qui manifestent à l’avance les projets divins sont en nombre infini; le plus important d’entre eux est d’ordre psychique; le rêve est le moyen privilégié de communication des dieux avec les hommes: Assurbanipal reçoit parfois en songe un avis favorable de la déesse Ishtar pour son départ en campagne. Mais le rêve à sens obvie, garanti par la répétition, est rare. Aussi le plus souvent la divination s’exerce-t-elle sur des signes physiques; ceux-ci peuvent être répartis en trois catégories principales; les signes cosmiques : le ciel avec ses astres, ses phénomènes divers, ses orages et ses nuées est l’envers même du monde divin; les signes liturgiques : l’intérieur des victimes sacrifiées est soigneusement examiné, la manière dont la victime se dirige vers l’autel, les écarts des animaux de trait lors de la procession sont significatifs; enfin, tout ce qui est extraordinaire dit la volonté divine: la naissance de jumeaux ou de triplés, un fœtus anormal, l’apparition de flammes sur les eaux et certains reflets du soleil sur les plans d’eau; le fortuit même est significatif: l’entrée d’un chien dans un temple ou la vue d’un serpent. Ces signes, rêvés ou observés à l’état de veille, requièrent une interprétation; celle-ci est fournie par les devins. Le lien entre le signifiant et le signifié est le plus souvent empirique et toujours mystérieux; il résulte de coïncidences qui, observées et consignées dans des recueils par des siècles de divination, fondent une interprétation traditionnelle. Un signe unique est rarement clair; c’est au devin qu’il appartient d’en obtenir confirmation ou infirmation par une divination technique: extispicine, lécanomancie, etc.

La magie

Il ne suffit pas de prévoir, il faut empêcher la réalisation des présages mauvais et lutter contre le mal s’il survient. Seuls les dieux peuvent revenir sur la décision qu’ils ont prise; aussi le mage n’intervient-il que comme représentant des dieux. Pour obtenir ce résultat, il utilise l’exorcisme. Celui-ci est constitué de deux éléments, inséparables mais distincts: le rite et l’incantation. L’efficacité du rite magique est fondée sur l’affinité entre la matière et le dieu qu’il faut atteindre. Les gestes rituels peuvent être adressés soit au démon, soit au dieu. Les rites d’incompatibilité consistent à mettre le patient en contact avec un objet insupportable au démon. Si le mal a déjà pris possession de l’homme, il faut recourir à des rites d’expulsion par préfiguration ou transfert; dans le premier cas, l’eau qui coule sur le malade par exemple ou qu’on répand aux quatre coins du monde symbolise le départ du mal. Lorsque le symbole représente l’un des partenaires du drame, c’est un rite de transfert par envoûtement: au malade on peut substituer une statuette ou un animal et l’abandonner au démon; on peut aussi représenter le démon ou la sorcière et le tuer. Quand on s’adresse aux dieux, on exécute des rites de communication: l’application d’une substance pure, qui rend au malade la pureté perdue; ou des rites d’apaisement destinés à rendre au patient la faveur du dieu. Parfois les rites constituent, par l’intermédiaire de statues, de véritables envoûtements des grands dieux du panthéon. L’incantation est plus importante encore que le rite; c’est elle qui lui donne son sens. Avant d’entamer la lutte, l’incantateur doit circonscrire son objet, comprendre et saisir l’adversaire; toute erreur d’adresse la rendrait inefficace, d’où la nécessité d’énumérer tous les démons capables d’être l’auteur du mal visé. L’exorciste doit aussi libérer le patient de l’emprise du mal, par la confession de toutes les causes possibles d’impureté. La conjuration constitue l’essentiel de l’incantation; «Par la vie des Cieux, sois conjuré! Par la vie de la Terre, sois conjuré!» Cette formule admet des développements plus ou moins longs qui énumèrent tantôt la liste des puissances du Ciel et de la Terre, tantôt les ordres et les défenses donnés aux démons et qui prennent parfois la forme de chantages nettement caractérisés.

Enfin, lorsque l’incantateur s’adresse directement aux dieux, l’impératif s’adoucit et devient parfois humble supplication; sans doute l’exorciste a-t-il confiance dans l’efficacité de la cérémonie, mais pour plus de sûreté il ajoute la prière déférente et ne néglige pas l’intervention d’intermédiaires divins.

La religion assyro-babylonienne imprègne donc toutes les activités politiques, sociales et économiques de la cité; elle a dressé, par ce fait même, une puissance incontestée, celle des dieux et des hommes qui parlent et agissent en leur nom, en face du pouvoir civil. Elle a empêché ainsi celui-ci de devenir tyrannique et a donné à la Mésopotamie une civilisation vraiment libérale.

La religion assyro-babylonienne, malgré l’humilité de ses prières, doit être classée parmi les religions magiques. Parce que la magie cherche dans le monde visible un reflet divin qui lui donne prise sur les dieux, elle a observé et noté inlassablement, avec une précision méticuleuse, les mouvements des astres, les propriétés médicinales des plantes et des minéraux. Si l’on admet que l’observation est la première phase de la science, la religion a donné à l’Assyrie et à la Babylonie une civilisation vraiment scientifique.

Enfin, fondée sur la rencontre de l’expérience et de la psychologie profonde, cette religion, par sa liturgie et sa mythique, a aidé l’homme et la société à vaincre leurs phantasmes les plus nocifs et à accepter les renoncements nécessaires dans la vie; par cette libération, elle a doté la Mésopotamie d’une civilisation profondément équilibrée.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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